Après un accident, la victime d’un dommage corporel doit, en vertu du principe de la réparation intégrale, être replacée, dans une situation aussi proche que celle dans laquelle elle serait si le fait dommageable ne s’était pas produit.
En 2005, un outil de classification de référence de l’ensemble des préjudices corporels indemnisables a été créé.
Il s’agit de la nomenclature Dintilhac.
Issue d’une réflexion doctrinale et de la création prétorienne, cette nomenclature est largement admise et adoptée par l’ensemble des praticiens.
Les juridictions judiciaires et administratives invitent à son utilisation.
Figurent parmi cette classification, les dépenses consécutives à la réduction d’autonomie : « frais de logement adapté », « frais de véhicule adapté » et « assistance tierce personne ».
« L’assistance tierce personne » ou « le besoin en aide humaine » est l’aide apportée à la victime qui, du fait de son handicap, n’est plus en mesure d’accomplir seule certains actes de la vie courante.
Le Ministère des Affaires Sociales a donné, dans une circulaire du 5 juin 1993, une définition de la tierce personne regroupant les actes essentiels de la vie courante tels que l’autonomie locomotive (se laver, se coucher, se déplacer), l’alimentation (manger, boire) et l’assouvissement de ses besoins naturels.
Le rapport de Monsieur Dintilhac donne une définition plus extensive de ce poste de préjudice en justifiant également l’aide humaine pour restaurer la dignité de la victime et suppléer sa perte d’autonomie.
Les auteurs du groupe de travail dirigé par Monsieur Jean-Pierre Dintilhac ont insisté sur le caractère ouvert et indicatif de cette nomenclature précisant que celle-ci devait être appréhendée comme une sorte de guide, susceptible d’évolution, la liste définie n’étant pas exhaustive.
Cependant, dans les faits, il est difficile de faire reconnaître de nouveaux postes de préjudices.
En 20 ans, seuls deux nouveaux postes de préjudice ont été reconnus.
Il s’agit du préjudice spécifique d’angoisse de mort imminente des victimes directes et le préjudice d’attente et d’inquiétude des proches des victimes décédées.
Le préjudice lié au désœuvrement social, reconnu depuis peu mais couramment retenu par les juridictions ne fait l’objet d’aucune autonomie. Il est indemnisé au titre de l’incidence professionnelle.
Le poste de préjudice intitulé « tierce personne » s’il est appréhendé sous le prisme de la nomenclature Dintilhac ne permet pas l’évaluation de l’aide à la parentalité.
On conçoit pourtant parfaitement qu’une personne se retrouvant en situation de handicap, en fauteuil, avec une perte d’autonomie, qu’elle soit d’ordre physique ou psychique, n’aura non seulement plus toutes ces capacités pour s’occuper d’elle-même, mais ne pourra également plus remplir correctement ses fonctions parentales.
La personne traumatisée crânienne qui fait face à d’importants troubles cognitifs ne pourra plus s’occuper de suivre la scolarité de ses enfants. Il devra déléguer ces tâches éducatives à son compagnon, ou à un professionnel.
Cela semble évident et pourtant les compagnies d’assurance daignent rarement prendre en compte ce besoin d’aide à la parentalité.
L’office du juge s’impose alors pour faire reconnaître ce besoin et le faire indemniser.
L’avocat devra alors demander au tribunal de prévoir une mission spécifique, obligeant le médecin expert désigné à évaluer ce préjudice d’accompagnement, d’aide à la parentalité.
Les experts ne disconviennent normalement pas de la nécessité d’évaluer ce besoin mais exigent un point de mission spécifique pour se prononcer.
Cette aide à la parentalité, appelée aussi « aide de substitution », est une assistance spécifique supplémentaire qui doit être évaluée distinctement du besoin personnel en fonction du degré d’handicap, de l’âge et des besoins de l’enfant.
La seule méthode d’évaluation à caractère indicatif mais reconnu par les experts est issue des travaux du Docteur LAVIGNE (tiré de la Revue Française du dommage corporel 2016).
Ce dernier propose d’évaluer les besoins des enfants jusqu’à leurs 15 ans, âge à partir duquel il est estimé qu’ils sont autonomes.
La Cour de cassation et les cours d’appel se sont prononcées à plusieurs reprises sur ce sujet.
L’arrêt rendu en date du 14 décembre 2016 a notamment été l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler qu’il appartenait aux magistrats, saisis d’une demande en ce sens, de se prononcer sur le besoin futur en aide humaine de la victime, parent souffrant d’un handicap, dans l’entretien et l’éducation de ses enfants, en anticipant l’évolution de ce besoin en fonction de l’âge des enfants (Cass., 1ère civ., 14 décembre 2016, n°15-28.060).
La Cour d’appel de Nancy a reconnu dans son arrêt du 18 avril 2011, une indemnisation pour la prise en charge des enfants, avant consolidation (voir en ce sens : Cour d’appel de Nancy, 18 avril 2011, n°10/01107).
De même, la Cour d’appel de Paris s’est aussi prononcée quelques années plus tard sur l’aide de substitution d’une victime, mère d’un enfant qui « présentant une perte de moitié de sa capacité fonctionnelle pendant cette période a généré chez la victime un besoin supplémentaire en tierce personne pour s’occuper de l’enfant alors âgée de 1 an que la cour évalue à 4 heures par jour » (voir en ce sens : Cour d’appel de Paris, 2 juillet 2015, n°14/18272).
Le cabinet est régulièrement conduit à solliciter l’évaluation de ce préjudice auprès des tribunaux (tribunaux judiciaires d’Annecy, de Thonon-les-Bains, de Bonneville, de Bourg-en-Bresse notamment). Cette évaluation légitime ne lui a jamais été refusée.
Les indemnisations peuvent être conséquentes et ne pas mettre en avant ce besoin d’assistance serait une erreur.
On citera notamment quelques-uns des décisions et accords intervenus en ce sens :
Cour d’appel de Chambéry, chambre des appels correctionnels, statuant sur intérêts civils, 17 mars 2021, n°21/160 :
Une victime amputée à la suite d’un accident de scooter s’est vu reconnaître par l’Expert une aide de substitution, distincte de son besoin propre en aide humaine, pour s’occuper de ses quatre enfants, à raison d’une heure à une heure trente par jour jusqu’à la mise en place de sa prothèse définitive.
Relevant que cette dernière avait dû se faire aider dans les temps consacrés à la prise en charge de ses enfants du fait de ses difficultés de déplacement, d’une gêne à la préhension de la main et de la survenue d’épisodes de fatigue, la Cour d’appel de Chambéry a indemnisé cette assistance spécialisée et nécessaire par une somme totale de 27 564,20 € après application d’un coût horaire de 20 €.
Tribunal Judiciaire d’Annecy, chambre correctionnelle, statuant sur intérêts civils, 20 septembre 2021, n°55/2021 :
A la suite d’un grave accident de moto, la victime a conservé des séquelles neurologiques et cognitivo-comportementales, des séquelles orthopédiques, ORL et ophtalmologique donnant lieu à un déficit fonctionnel permanent de 70%.
Dans le cadre de l’expertise, le médecin a conclu à la nécessité d’une assistance par une tierce personne pour la victime afin de l’aider dans la réalisation des actes du quotidien, qu’il a évalué à 2 heures par jour à titre viager.
Il a également retenu la nécessité d’une assistance supplémentaire par tierce personne lors des jours de présence de sa fille à son domicile, selon le rythme de la garde alternée, depuis la sortie de l’hôpital jusqu’aux 15 ans de l’enfant, et ce, à raison de 45 minutes pour les jours où elle est scolarisée et de 1h30 pour les jours où elle ne l’est pas.
Procès-verbal transactionnel ratifié en janvier 2025 avec le cabinet
Le cabinet est parvenu à obtenir un accord transactionnel avec l’assureur sur l’indemnisation définitive d’une personne victime d’un grave traumatisme crânien à la suite d’un accident de la voie publique (piéton renversé sur le passage piéton par un véhicule terrestre à moteur).
Cette personne est atteinte d’anosmie, de douleurs neuropathiques du membre inférieur, d’hypoacousie gauche, d’épilepsie et d’un syndrome dysexécutif cognitif et comportemental justifiant de retenir un taux de déficit fonctionnel permanent de 52%.
Outre un besoin strictement personnel en tierce personne évalué de façon définitive à 5 heures par semaine, il a été retenu par l’Expert que cette victime se trouvait désormais dans l’incapacité absolue de s’occuper de ses deux enfants.
En se basant sur le rapport LAVIGNE, une aide à la parentalité a été évaluée jusqu’au 15 ans des deux enfants.
Un accord à hauteur de plus de 85000 € a été formalisé par les parties dans le cadre de la transaction.
De nombreuses autres décisions sont à attendre sur ce sujet toujours largement débattu par le Cabinet.
Mots clés : Dommage corporel – Assistance tierce personne – Besoin en aide humaine – Aide à la parentalité – Aide de substitution – Exercice de l’autorité parentale – traumatisé crânien – Aidant – Enfant(s) – Préjudice –