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Le rapport du CIASE sur les violences sexuelles dans l’église

8 octobre 2021

Le rapport SAUVE sur « les violences sexuelles dans l’église catholique de 1950 à 2020 » est paru en octobre 2021.

Il a été établi par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) a été créée à l’initiative de l’Église catholique en France (ECF) avec quatre missions :

1/ faire la lumière sur les violences sexuelles en son sein depuis 1950 ;

2/ examiner comment ces affaires ont été ou non traitées ;

3/ évaluer les mesures prises par l’Église pour faire face à ce fléau ;

4/ faire toute recommandation utile.

Ce rapport est consultable en son intégralité au lien suivant :

https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Les-violences-sexuelles-dans-l-Eglise-catholique-France-1950-2020.pdf

 

Un résumé de ce rapport est également en ligne.

https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Resume.pdf

 

Certains éléments de ce rapport sont repris in extenso :

 

« Au terme de son travail, la commission a dressé un état des lieux des violences sexuelles dans l’Église qui est particulièrement sombre. Le nombre des victimes mineures de clercs, religieux et religieuses dans la population française de plus de 18 ans est en effet estimé à environ 216 000. Si ces violences ont d’abord baissé en valeur absolue et relative jusqu’au début des années 1990, elles ont cessé depuis lors de décroître. L’Église catholique est, hormis les cercles familiaux et amicaux, le milieu où la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée.

Face à ce fléau, l’Église catholique a très longtemps entendu d’abord se protéger en tant qu’institution et elle a manifesté une indifférence complète et même cruelle à l’égard des personnes ayant subi des agressions. »

 

Plusieurs recommandations sont formulées dont celles de proposer un mécanisme d’indemnisation des victimes.

Il est ainsi indiqué en page 21 du résumé de ce rapport :

« Au besoin de justice exprimé par les personnes victimes, souvent confrontées aux limites de l’action pénale ou à la prescription des faits commis, en dépit de l’évolution de la loi pénale au cours de la période étudiée, la commission suggère de répondre par deux voies principales : celle de la justice dite restaurative et celle de l’instauration de dispositifs permettant d’établir la vérité indépendamment de l’ancienneté des faits. La justice restaurative pour tenter de réparer les atteintes à l’être des personnes victimes, au delà des atteintes à l’avoir. La mise en oeuvre de moyens consistant à diligenter des enquêtes quelle que soit l’ancienneté des violences perpétrées, pour répondre à l’exigence de justice et de reconnaissance, comme à celle de prévention de futures violences. Cette voie paraît préférable à celle d’un nouvel allongement des délais de prescription par le législateur, option que la commission a examinée en détail pour l’écarter, y voyant une impasse : elle n’améliorerait pas la reconnaissance des faits et n’aiderait pas dans leur reconstruction les personnes victimes confrontées à l’issue d’autant plus incertaine d’un procès pénal que celui-ci serait très tardif.

Au bout de ce cheminement, un mécanisme d’indemnisation peut intervenir, avec quelque chance alors d’atteindre ce pour quoi il aura été pensé. La commission a entendu de nombreuses personnes victimes lui dire combien une somme d’argent ne pouvait réparer l’irréparable, voire pouvait, mal conçue, apparaître comme l’achat du silence. Mais elle a aussi entendu celles qui insistaient sur la dimension symbolique de ce type de dispositif ou sur l’utilisation de cet argent à d’autres fins que purement personnelles. Elle a également étudié les mécanismes mis en place dans d’autres pays : Allemagne, Belgique, Irlande, Pays-Bas, États-Unis, Australie.

La commission retire de ces éléments que la réparation financière – indispensable même si elle ne peut se suffire à elle-même –, intervenant comme terme du processus de reconnaissance tel qu’il a été décrit, doit être individualisée, sans pouvoir être qualifiée d’intégrale au sens où le droit entend ce terme. Cela signifie qu’elle ne saurait être purement forfaitaire, mais doit prévoir un mode de calcul visant la compensation du préjudice spécifique subi par chaque victime directe – plutôt qu’un barème par catégorie d’infractions perpétrées – et, en cas de décès de celle-ci, par la victime indirecte. Le mécanisme d’indemnisation devrait être confié à un organe indépendant, extérieur à l’Église, chargé de la triple mission d’accueillir les personnes victimes, d’offrir une médiation entre elles, les agresseurs et les institutions dont ils relèvent, et d’arbitrer les différends qui ne peuvent être résolus de manière amiable. Quant au financement, il proviendrait du fonds de dotation dont la CEF a d’ores et déjà annoncé la création en mars 2021. Selon la commission, ce fonds devrait être abondé à partir du patrimoine des agresseurs et de celui des institutions relevant de l’Église en France, sans appel aux dons des fidèles, car ce ne serait pas cohérent avec la démarche de reconnaissance d’une responsabilité de l’Église en tant qu’institution. Devrait aussi être exclue toute forme de socialisation du financement pour les violences commises dans l’Église catholique, comme d’ailleurs dans l’ensemble des institutions publiques et privées. L’essentiel des contributions devrait donc provenir, comme d’ailleurs cela a existé pour le financement de la CIASE et selon une clef de répartition à définir, respectivement : pour l’Église diocésaine, de l’Union des associations diocésaines de France, association relevant de la loi du 1er juillet 1901 qui est le support administratif de la CEF ; pour les instituts religieux, de la CORREF. Il serait aussi incompréhensible qu’inéquitable que des mécanismes de réparation différents soient mis en place par les deux conférences. Mais à défaut que soit créé un dispositif unique d’indemnisation, la commission propose que soient appliqués, dans l’Église diocésaine, comme dans les instituts religieux, les mêmes principes et les mêmes règles. »

 

Aborder la question des violences sexuelles perpétrées ces quelques soixante-dix dernières années, amène en effet nécessairement à aborder du point de vue judiciaire le sujet de la prescription des poursuites.

La loi SCHIAPPA du 3 août 2018 a instauré un délai de prescription de 30 ans à compter de la majorité de la victime, contre 20 ans à compter de la commission de l’infraction s’agissant du viol sur majeur. La loi du 21 avril 2021 a introduit par la suite un mécanisme de prescription dite « glissante » ou « en cascade ».

A partir du moment où l’auteur du viol sur mineur commet une nouvelle infraction sexuelle sur mineur, avant l’expiration du délai de prescription initial de 30 années à compter de la majorité de la première victime, le délai de prescription du crime de viol initial sera alors prolongé, si besoin jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction commise.

Une nouvelle chance est ainsi donnée à la première victime de se joindre à l’action publique engagée par la seconde victime.

D’application immédiate, ces mécanismes de prescription sont immédiatement applicables à la répression des infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2021, dès lors que leur prescription n’est pas acquise au jour de l’entrée en vigueur de cette loi.

Le délai de prescription de 30 ans en matière de viol à compter de la majorité est ramené à 10 ans en matière d’agression sexuelle et d’atteinte sexuelle à compter de la majorité.

Dès lors, ces mécanismes de prescription, bien qu’améliorés par le législateur, ne permettent pas de poursuivre pénalement la grande majorité des violences sexuelles rapportées par le rapport CIASE.

La commission, bien consciente des limites de l’action pénale, propose d’instaurer un « organe indépendant de l’Eglise » qui aurait notamment pour fonction d’indemniser les victimes. Cette commission insiste sur la nécessité de prévoir une indemnisation non pas barémisée mais individualisée.

Cet organe aurait la tâche ambitieuse d’accueillir les personnes victimes, et de proposer une médiation impliquant les agresseurs et les institutions dont ils relèvent. En cas de désaccord, cet organe aurait une fonction arbitrale.

L’église catholique acceptera t-elle la mise en place d’un organe indépendant susceptible d’arbitrer les désaccords et de lui imposer le versement d’indemnisations auprès des victimes ?

On évoque déjà les limites financières à l’exercice compte tenu du nombre gigantesque de victimes annoncées.

Après la création d’un fonds de garantie des victimes d’actes de terrorismes, verra t-on un jour apparaître un fonds de garantie idoine des victimes de violences sexuelles au sein de l’église ?

Après une omerta trop longtemps gardée, l’église catholique se trouve face à ses responsabilités. Ce rapport que l’on peut qualifier d’historique est accablant pour l’institution religieuse. Au-delà du constat dressé, il donne des pistes de réflexion pour changer les consciences et pour participer à la réparation des victimes.

Des mesures concrètes sont attendues.